Autrefois, en marge d'un Baudelaire


Autrefois, en marge d'un Baudelaire

Stéphane MALLARMÉ

Muse de l’impuissance, qui taris le rythme et me forces de relire ; ennemie avec des breuvages, je te rends l’ivresse qui vient d’autrui.

Un paysage hante intense comme l’opium ; là-haut et à l’horizon, la nue livide, avec une trouée bleue de la Prière — pour végétation, souffrent des arbres dont l’écorce douloureuse enchevêtre des nerfs dénudés, leur croissance visible s’accompagne malgré l’air immobile, d’une plainte de violon qui, à l’extrémité frissonne en feuilles : leur ombre étale de taciturnes miroirs en des plates-bandes d’absent jardin, au granit noir du bord enchâssant l’oubli, avec tout le futur. Les bouquets à terre, alentour, quelques plumes d’aile déchues. Le jour, selon un rayon, puis d’autres, perd l’ennui, ils flamboient, une incompréhensible pourpre coule — du fard ? du sang ? Étrange le coucher de soleil ! Ou ce torrent de larmes illuminées par le feu de bengale de l’artificier Satan qui se meut derrière ? La nuit ne prolonge que le crime, le remords et la Mort. Alors se voiler la face de sanglots moins par ce cauchemar que dans le sinistre bris de tout exil ; qu’est-ce le Ciel ?