Brise Marine


Brise Marine

Stéphane MALLARMÉ

première parution : 12 mai 1866

La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres. Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres D’être parmi l’écume inconnue et les cieux ! Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe Sur le vide papier que la blancheur défend Et ni la jeune femme allaitant son enfant. Je partirai ! Steamer balançant ta mâture, Lève l’ancre pour une exotique nature ! Un Ennui, désolé par les cruels espoirs, Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs ! Et, peut-être, les mâts, invitant les orages Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots... Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots !

Premier état du poème

[manuscrit de 1865]

La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres. Je veux aller là-bas où les oiseaux sont ivres D'errer entre la mer inconnue et les cieux ! Rien, ni le vieux jardin reflété par mes yeux, Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe, Ô nuits, ni la blancheur stérile sous la lampe Du papier qu'un cerveau malade me défend, Et ni la jeune femme allaitant son enfant. Je partirai ! Steamer balançant ta mâture, Lève l'ancre vers une exotique nature, Car un ennui, vaincu par les vides espoirs, Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs, Et serais-tu de ceux, steamer, dans les orages, Que le Destin charmant réserve à des naufrages Perdus, sans mâts ni planche, à l'abri des îlots... Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots !

Odilon Redon

<< L'Azur | Poèmes | Soupir >>