FANTAISES
FANTAISES
Stéphane MALLARMÉ
ENTRE QUATRE MURS
1859-1860
1. FANTAISIES
1
RÊVE ANTIQUE
Elle est dans l'atrium la blonde Lycoris Sous un flot parfumé mollement renversée. Comme un saule jauni s'épand sous la rosée, Ses cheveux sur son sein pleuvent longs et fleuris.
Dans les roseaux, vis-tu, sur un fleuve bleuâtre, Le soir, glisser le front de la pâle Phoebé? - Elle dort dans son bain et sa gorge d'albâtre, Comme la lune, argente un flot du ciel tombé.
Son doigt qui sur l'eau calme effeuillait une rose Comme une urne odorante offre un calice vert Descends, ô brune Hébé! verse de ta main rose Ce vin qui fait qu'un coeur brûle, à tout coeur ouvert.
Elle est dans l'atrium la blonde Lycoris Sous un flot parfumé mollement renversée Comme ton arc d'argent, Diane aux forêts lancée, Se détend son beau corps sous ses amants choisis.
Octobre 1859
2
SOURIRE
Oh! je viens! je viens! tu m'appelles, Printemps, à l'auréole d'or! Tu donnes à mon coeur des ailes! Plein d'amour il prend son essor! Sur un blanc fil de la vierge Avril, riant, descend du ciel! Pâques arrive et son grand cierge Brille déjà près de l'autel.
Rosette sous la mousseline Voile au soir son tétin vermeil; Et, sur sa lèvre purpurine, S'endort un rayon de soleil.
Comme elle, sourit la pervenche. Et, laissant son deuil hivernal, D'une couronne de fleur blanche L'aubépine se pare au val.
Sous une feuille qui l'ombrage La pâle violette dort. Près d'elle la brise volage Courbe les mille étoiles d'or.
Oublieuse de la faucille L'herbe frissonne dans les prés L'alouette joue et babille, Babille sans se dire: " Après? "
Plus de neige! l'<ormeau> recueille Cent nids de mousse, gai dortoir! A leurs chansons, sa jeune feuille Danse sous l'haleine du soir!
L'azur se rit dans la ramure Égayant les branches du houx. L'eau, sous son manteau vert, murmure, Par[le] en cascades des cailloux!
La demoiselle au fin corsage Se balance au bout d'un roseau, Et, svelte, sur l'herbe qui nage, Se mire au frais cristal de l'eau.
Le papillon, petit fou, vole Sur son aile d'un bleu velours, Pose un baiser sur la corolle Des roses, nids de ses amours.
Le rossignol sous la feuillée Gazouille l'hymne du matin Sa compagne boit la rosée, Rit, et berce son nid mutin.
Et toi, cher grillon, tu fuis l'âtre Où ton chant m'endormait l'hiver... Dans les hautes herbes, folâtre! Sous le ciel bleu dis ton chant clair!
Oh! si sur la tiède mousse Je voyais dormir une soeur! Oh! si de son haleine douce Le parfum enivrait mon coeur
Si je cueillais aux bords des ondes Les myosotis isolés Pour étoiler ses tresses blondes, Comme les bluets dans les blés!
Si .....
- "Lisez donc le grand Racine Et non l'homme à la Carabine ...* Monsieur, encore un contre-sens! " Je suis en classe! adieu, printemps.
Avril 1859 (classe du soir)
V. Hugo. Allusion à sa chanson de Gastibelza. 3
VIENS!
Ballade
Un enfant dormait blond et rose. L'oeil rêveur, un ange frôlait De l'aile sa paupière close Sur son front des feuilles de rose Pleuvaient des doigts d'Ohl-le-follet!
Ohl-le-follet
" Viens danser la ronde des fées! Des bras lactés sont ses liens La nuit joue en fraîches bouffées Dans leurs tresses d'or décoiffées! Viens! "
L'Ange
" Viens chanter le Noël des anges! L'encens en flots aériens Met, quand murmurent nos louanges, A leurs ailes de blanches franges! Viens! "
Le follet
" T'emporte la lune morose Sur un rayon aux rocs anciens! T'emporte vers la fleur éclose Un fil de vierge à l'aube rose! Viens! "
L'Ange
" Que l'ange Espoir au pied du trône Verse tes voeux avec les miens! Cueillons les astres, lys que donne Dieu pour faire aux morts leur couronne! Viens! "
Quelle aile a-t-il pris pour suaire? La vôtre, ange? Ohl, est-il des tiens? Car, berçant lentement sa bière, Sa mère sanglote en prière " Viens!... "
Décembre 1859
4
CHANSON DU FOL
1
Vivent les castagnettes! Tac! tac! tac! les clochettes, Les boléros!
Per el rey, quand je danse, Plus que la diligence Et ses grelots,
Je sonne! - Par la ville Aux doux soirs de Séville Dig! il n'est pas
De nain qui plus lutine Que le fou de Rosine Ha! ha! ha! ha!
Dig! après la perruche Qui sur son doigt se juche, Son favori
C'est moi, qui toujours saute Chante, bois, et ressaute, Qui toujours ris!
Je n'atteins pas l'oreille Du grand chien noir qui veille La nuit, Pepo!
II
Dona fit ma marotte De satin vert! Ma botte D'or et de peau
Défierait la bottine De soie où se dandine Son pied mignon.
Le soir, quand à la brume, Le citronnier parfume Son frais balcon,
J'entends la sérénade, Je ris et je gambade Puis quand tout dort,
Quand la lune maligne Rit et de l'oeil me cligne, Vers Almandor
Je mène la comtesse, Un ange, une tigresse! Que de baisers
Sur le sein, sur la joue! Et quand sa main dénoue Sans y penser
Son noir corset de soie Qui craque, et que de joie L'oeil scintillant
Plonge au fond de la taille, Quand le hibou les raille, Moi, j'en vois tant,
Que mi senor l'Évêque Au gros nez de pastèque - S'il le pouvait!
Qu'un duc d'Andalousie D'un oeil de jalousie, - S'il le savait!
Lorgneraient ma marotte! - Parfois je lui chuchotte Des mots bien doux!
La dona de sourire, De sourire et de dire " Oh! petit fou!... "
Pour chasser une mouche Quand je pose ma bouche Sur son sein brun
Quand je sens de la rose Qui sur son coeur repose Le doux parfum,
Jamais sur mon visage Palmada* ne voyage Dig! de la main
De son amant fidèle Pour lui comme pour elle Je suis un nain!
III
Dig! Dig! Dig! alcades Pendant les promenades De senora
Je les envoie au diable! - Au Diable - acte pendable! Et caetera!
Quand le soleil nous lance Ses rayons, je balance Sur son beau col
Ou sur sa brune épaule, En chantant un chant drôle, Un parasol.
IV
Quand au bal tout est flamme, Tout est or, tout est femme, " Oh! petit fou,
" Sans tarder, en cadence Danse-nous une danse! Oh! Danse-nous!...
- Je lève ma babouche Rose comme la bouche Des senoras
Et, dig! dig! je sautille .... Car tout cet or qui brille Sur leurs beaux bras,
Car cette fine lame Que porte au sein la dame De l'alguazil,
Cette noire mantille, Ce Xérès qui pétille Et, vieux Brésil!
Tes cocos et grenades Après danse et roulades Seront à moi!
Lors, au seigneur Cramornes Je ferai mille cornes De mes deux doigts!...
Il dit que la gargouille De l'Alcazar, que mouille L'eau du bon Dieu,
A moins affreuses faces, Fait moins laides grimaces Que moi, Mordieu!
V
La nuit .... - Bonsoir mesdames, Je cours puiser des flammes Au rendez-vous!
Devinez mon amante! .... - C'est la lune, ma tante, Qui rit à tous!
Tral-lo-los!... Ah! l'alcade Vient... Adieu cavalcade* .... Dig! filons doux!
Mars 1859
La scène est à un rendez-vous de chasse: il parle aux amazones. " Tuez dix mille hommes, mais n'arrachez pas une patte à une araignée "
5
LA COLÈRE D'ALLAH!
Siben-abd-Alimah, dont le père est au ciel Pour avoir aux mendiants distribué du miel Quand, sous chaque épi blond faisant naître une épine, Par les moissons planait l'Ange de la famine, Siben-abd-Alimah, fils d'Hahr, aimait mieux voir Jaillir sur le poitrail de son fier cheval noir Le sang d'un ennemi qui râle une prière Et du coursier piaffant déchire la crinière, Que l'esclave enivrée, au son du gai tambour Verser sur ses flancs nus et gonflés par l'amour Le vin chaud du palmier qu'elle ne peut plus boire. Le sang était sa soif, et le meurtre sa gloire. Sur un lit de boas, il étendait cent Juifs Et ses éléphants blancs broyaient leurs fronts plaintifs Au son des trompes d'or, aux rires des sultanes, Comme, au bois où tout craque, ils foulent les lianes. Les aigles du Sahra, sur ses sanglantes tours Que blanchissait la lune, arrachaient aux vautours Les têtes des chrétiens, violettes et pâles, Qu'entrechoquaient la nuit de lugubre[s] rafales. Prosterné sous ses pas, le peuple hurlait : " Le Grand! "
Allah le regardait d'un oeil indifférent.
Quand il avait pâli dans les bras d'une amante, Dormi dans ses cheveux, flots noirs et parfumés, Quand le ciel empourpré, jetant sa sombre mante, Fondait les astres blancs dans l'azur clair-semés, Ce n'était pas l'oiseau chantant dans la rosée, Ce n'était pas le vent sur la vague embrasée, Ce n'était un baiser, ce n'était l'hymne saint Qui chassaient le sommeil de son regard éteint, Mais un tigre mordant l'or de sa jongle riche, Ou roulant, en grondant, le crâne d'un derviche! Alors prenant l'enfant dont les baisers du soir Et les fades parfums faisaient languir l'oeil noir, Comme un lys qu'on effeuille et qu'on jette à l'écume Il la dépose nue en sa natte de plume Aux pieds du tigre aimé qui, Sultan à son tour, Boit la mort dans la coupe où Siben but l'amour!
Allah le regardait, froid comme un dieu de marbre.
Or un soir que dans l'ambre et l'or- au pied d'un arbre Qui berçait trois pendus - il fumait en rêvant Aux nonnes dont l'oeil bleu pleurait le noir couvent, Non pour ce qu'au sérail elles ne restaient vierges, Mais parce qu'au vieux cloitre, à la lueur des cierges On pouvait être aimé sans être dévoré, - Un soir que du chibouk un nuage azuré ondulait follement sur son turban de moire, Que la brise était calme et l'aile des nuits, noire, Que les tambours de basque et le triangle d'or, Que la danse, où la vierge en prenant son essor Lance aux vents une rose effeuillée et tremblante Qui sur les noirs cheveux tombe en pluie odorante, Que tout jusqu'au ce diamant ailé, Tout s'était endormi, tout s'était envolé, - Les songes seuls frôlaient de leur aile argentée Les longs cils de Siben - ... il voyait une fée .... Quand un grillon gémit sur le front du rêveur Qui soudain s'éveilla! - Furieux, au chanteur Dans son chibouk brûlant Siben creuse une bière.
Dieu fronça le sourcil et lança son tonnerre.
Décembre 1859
6
BILLET DU SOIR
[manque]
7
CHANT D'IVRESSE
J'aime l'Espagne... - Le clair champagne Dans le cristal Oriental Mousse et pétille Ma brune fille, Ma Mourinas Entre mes bras Palpite et pâme Son pâle sein Nu, sous la flamme
De mes baisers, son[s] frein Frémit. Minette, Oh! qu'il est beau ton corps Quand d'amour tu te tords! Là - prend[s] ta castagnette Et danse encor! Danse, danse, ô brunette, Un boléro . … Bravo! Bravo! … Mon poignard. de Tolède, Mon casino de roi Tout l'or que je possède Seront à toi. Je t'aime, écoute .... Toujours je t'aimerai! Pour toi je verserai Mon sang; belle, n'en doute! Viens!... sur moi goûte
Le champagne au flot pur. - Vague d'azur Toi dont la blanche écume Fut mère de Vénus
Dis-moi, quand à la brume Ses blancs seins nus, Au murmure de l'onde, Palpitaient sous sa blonde Chevelure, Ah! dis-moi Frémis-tu, toi?
Frémis-tu comme danse, Danse en cadence Le champagne lutin Sous la lèvre polie De ma maîtresse au teint D'Andalousie?
Janvier 1859
8
BILLET DU MATIN
à Mignonne
La nuit tord sur les prés ses cheveux pleins d'étoiles, Et la rosée épanche en tombant de leurs voiles, Aux lilas sa senteur, sa fraîcheur à l'oiseau, - La nuit tord sur les prés ses cheveux pleins d'étoiles, Toi, relève les tiens d'un souple et vert roseau.
On voit fuir par l'azur la lune vague et blanche, Comme une fée, en l'eau qui mire la pervenche. Le nid fait sa prière et tout va s'empourprer .... - Vois glisser dans l'azur la lune molle et blanche, - Un astre fuit, Mignonne, à toi de te montrer!
La rose aime le lys, - tous deux aiment Mignonne La violette semble en la mousse une nonne, Le grillon, franc luron, frappe à sa feuille en pleurs... - La rose aime le lys, tous deux aiment Mignonne
[la suite est manquante]
9
MA BIBLIOTHÈQUE
[manque]
10
LES TROIS!
Ils étaient trois à face brune Sous leur vieille tente commune Les joyeux zingaris! La lèvre au front de leurs maîtresses, Gais, ils déposaient sur leurs tresses Des baisers et des lys!
Elles étaient trois jeunes blondes, - Sveltes comme un jonc dans les ondes, Sur leurs tambours crevés. Sous leurs cheveux épars, scintille Un oeil bleu, comme à l'aube brille Un bluet dans les blés!
Autour d'un foyer qui se meure A la neige qui les effleure Ils jettent tous leur chant! Leur choeur monte avec l'étincelle Narguant l'orage et sa sombre aile, Comme la mouette le vent!
Un grillon suit leurs voix dans l'âtre La lune, à leur gaze folâtre Met des paillettes d'or Sous les haillons les flammes blanches Luisent, comme entre les pervenches Un ver luisant qui dort!
Le silence vint, lutin sombre .... Sur la sente les feuilles d'ombre Bruirent sans accord Le feu râla, tordant ses branches, Puis montèrent ses flammes blanches Comme l'âme d'un mort!...
Sur son sein effeuillant des roses, Et, ses castagnettes mi-closes, L'une, - elle avait seize ans D'un pied nu frappa l'herbe verte Et tourna .... la bouche entr'ouverte Ses cheveux noirs flottants ....
Elle était belle et décoiffée, Sous ses longs cils deux yeux de fée Étoilaient cette nuit Elle dansa jusqu'à l'aurore Et tomba défaite, incolore .... - Elle est morte depuis.
Ils mirent près de son noir masque Sur sa tombe un tambour de basque Plein de lierre et de pleurs Et de leur tente une hirondelle, Belle et vagabonde comme elle, Va lui porter des fleurs!
On pleura... puis la gaîté folle Revint, et sur une auréole Danse l'ombre d'Emma! Sa jupe est un rayon de lune ..... - Ils étaient trois à face brune Le siècle le saura!
Novembre 1859
11
BALLADE
(Air: Je suis un enfant gâté)
J'aime une fille bohème Au pied leste et fin : Je la vis sous un roc blême Qui sortait du bain Dessous ses tresses d'ébène, Noires ailes de corbeau, Brillait un oeil aussi beau Que la lune pleine!
L'eau ruisselait sur son sein, Fleur sous la rosée! Sur son genou purpurin L'algue est renversée... Là, muette et souriant Tu contemplais sur la lame Ton frais minois, rose femme, Que berçait le vent!
Depuis mon coeur est de flamme! Dans mon rêve au soir Je vois le sein de ma dame Effleurer l'air noir!...
Et, sur un rayon de lune Qui sur mon front dort moqueur, Comme un lutin vers mon coeur Descendre ma brune!
Mais sur son aile diaphane D'azur étoilé, Je vois d'une courtisane Le flanc mi-voilé! Sur sa lèvre d'ange affable Voltige un souris méchant
Comme le tien, ô Satan ....... - Si j'aimais le diable!
Juin 1859
12
LE LIERRE MAUDIT
Ballade
Sous un vieux lierre où le roitelet chante Rit, comme un nid, une tour en débris. Dieg est parti pour la guerre sanglante Avec Ponto, sa cavale au flanc gris, Son coeur brûlant, sa carabine fière! L'âtre se meure au chant de sa Mourras. - Au clair de lune, allez, brunes dopas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.
Elle voit fuir de l'âtre une étincelle Elle entend fuir de ses fils un: " Adieu... " Un bouclier que la hache dentèle Comme à leur père est leur berceau! - " Mon Dieu! " La triste nuit! quelqu'un dort en sa bière " Au vieux beffroi j'entends tinter un glas! " - Au clair de lune, allez, brunes donas [ :] Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.
" Ô chers enfants, vous qui rêvez aux anges, " Dormez riants, sans entendre l'airain! " Ciel! il murmure aux nuits des mots étranges! " Ah! si don Dieg ..... - non, son astre est serein .... " Quand il me prit un soir au monastère, " Il dit aux cieux: Mon astre, ne meurs pas! " - Au clair de lune allez, brunes donas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.
" Or l'astre ami protégea sa maîtresse! " La poudre au flanc volait notre Porto " Aux blancs reflets de la lune traîtresse " Je vis dans l'algue aux bords verts d'un ruisseau " Le turban d'or des Maures en prière " Et j'entendis, ô moines noirs, vos pas! - Au clair de lune allez, brunes dopas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.
" L'astre brillait dans les branches bleuâtres " Au sein de Dieg aurais-je pu pâlir? " Du moine sombre, ou du Maure sans âtres " Le plus impur .... je ne puis le trahir! " Qu'être nonnette ou preste bayadère " J'aimerais mieux, Diable, être en tes grands lacs! " - Au clair de lune, allez, brunes dopas; Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.
" Oui, dans tes lacs!... " à sa vive parole Le son du cor, aux rocs noirs, fit écho ..... Du pur berceau se voila l'auréole... Mounas trembla, puis vit un hidalgo! - " Pleurez, dit-il[,] sous votre toit de lierre .... " - " M'annoncez-vous de don Dieg le trépas?... " - Au clair de lune, allez, brunes doras Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.
" Don Dieg!... eh! tiens, nos tentes sont communes, - Sauf son harem - à l'ombre du drapeau! " S'il était mort .... ce serait sur ses brunes!... " L'hôte portait plume blanche au chapeau, Et se drapait dans sa pourpre pour plaire! Sa pourpre avait des trous du haut en bas!... - Au clair de lune, allez, brunes douas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.
" Et sa Mouftas!... " gémit la mère en larmes. - " J'étais prophète!.. on pleure, bel oeil noir, " Sur les longs jours qu'on ignora mes charmes! " Je vous aime!... Oh! venez à mon manoir! " Dans l'ombre, au ciel se dresse ma vieille aire " Comme un vautour sur le champ des combats! " - Au clair de lune, allez, brunes doras Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.
- "Ton nom?... non, fuis!.. Mon Dieg..." - " Il t'abandonne! " " Je l'aime encor: lui, n'a pas pu changer! " - " L'amour trompé ne veut pas qu'on pardonne. " - " Oh! je vous hais!... mais je dois me venger! "
Mounas pleurant murmure une prière Au pur berceau... baise deux petits bras... - Au clair de lune, allez, brunes donas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.
La gorge au vent, la blonde sous la mante De l'hidalgo fuyait, pleurant encor Un baiser vint sur sa gorge tremblante Et dans les airs s'élança l'homme au cor Son vol traçait un sillon de lumière .... Mounas frémit... c'était don SATANAS!... - Au clair de lune, allez, brunes donas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.
Le beffroi noir jeta sa voix aux ombres .... Un spectre blanc parut sous un arceau L' astre de Dieg luit sur les chênes sombres. - " Ton époux, femme! 6 mère, ton berceau!... " Le spectre dit et sur la froide pierre Lança Satan et son amante, hélas! - Au clair de lune, allez brunes donas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.
Le sein d'un aigle, ô Mouftas, fut ta tombe! Satan, riant, vola vers ses enfers ..... Le spectre pâle a, plus qu'une colombe Sur son nid mort, versé de pleurs amers .... Mais tous ses pleurs n'ont des feuilles du LIERRE. Démon, lavé le sang que tu versas! - Aux clairs de lune, allez, brunes donas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère!
Juin 1859
13
INDE
[manque]
14
LOEDA
Idylle antique
La brise en se jouant courbe les jeunes fleurs, Le myrthe de Vénus embaume les prairies, Et l'onde s'enfuyant dans sa rive fleurie Murmure son amour aux herbages en pleurs.
Le soleil de sa pourpre embrase la colline, Philomèle bercée aux branches du laurier Jette ses derniers chants au printemps qui décline Dans les rochers se perd la voix du chevrier.
Effleurant le gazon de mille pieds d'albâtre, Les nymphes en riant fuient un faune lascif L'une d'un luth divin tire un accord plaintif L'autre saisit au vol un papillon folâtre.
Loeda, le front rêveur, voile son sein vermeil Comme un marbre sacré de longues tresses blondes, Loeda, que ses soeurs croient dans les bras du sommeil Rit au coquet portrait que balancent les ondes
" Le pampre n'a vingt fois verdi dans mes cheveux, " Je suis à mon printemps et personne ne m'aime! " Pauvre Loeda, ton coeur doit donc vivre en lui-même! " Aux doux soirs, nul baiser ne couronne mes voeux!
" Sous le sein de Tyndare aucun feu ne siège... " On me croirait sa fille! - Oh! pour les têtes d'or " Les nuits sont sans bonheur près des cheveux de neige. " Il aima trop, enfant: vieillard, sa flamme dort! "
Le tambourin léger, les flûtes doriennes Éveillent la rêveuse .... elle sourit au bruit, Puis, égayant son oeil dit aux musiciennes " Chères soeurs, l'onde est fraîche : avant qu'il ne soit nuit
" Folâtrons en cette eau dont la fraîcheur repose! " Un chalumeau de Pan à celle dont la main " Fendant l'onde qui dort viendra parer mon sein " De cette fleur humide! " Elle dit : une rose
Vole et ride le flot... les nymphes à sa voix Rasent de leurs seins nus l'eau qui frémit d'ivresse. A leurs doigts blancs la fleur échappe mille fois .... Lys la saisit... La flûte à Lys la chasseresse!
Un col flexible et blanc se courbe et plonge en l'onde... La fleur que la fraîcheur, comme au matin, inonde Pare le bec d'un cygne et vogue sur les eaux.
Lys pâlit interdite et ses soeurs sont muettes! " Ô Loeda!... " dit l'oiseau " laisse-moi sur ton sein " Poser avec la fleur un baiser! .... Tu rejettes " Ce voeu? c'est mon prix! Non : ton coeur n'est point d'airain!
" Le chalumeau des bois est un don vain au cygne " Quand il chante à l'aurore, il se tait au couchant... " Las! par sa mort les Dieux font expier son chant! " A lui l'amour! son feu de tes charmes est digne. "
Loeda rougit, tourna son oeil bleu vers le pré, Et vit qu'elle était seule. Il est soir : des dryades L'essaim gracieux dort en son antre sacré ..... " Je t'aime! " dit l'oiseau, " ravi, sous les cascades
" J'ai vu l'eau ruisseler sur ton corps, de mon nid! " Je t'aimai... " murmurant cette parole douce Il ploya son blanc col moelleux comme la mousse Autour du sein brûlant de la nymphe qui rit.
Loeda voit à son front scintiller une étoile! " Qui donc es-tu? qui donc? cygne au baiser de miel? " Dit-elle en palpitant. - " Ton amant! " - " Oh! dévoile " Ton nom, coeur enivrant! " - " Lceda, le roi du ciel! "
Jupiter!.. à ce nom, mollement son sein rose Plein d'amour se noya dans le sein ondoyant Du cygne au col neigeux qui sur son coeur riant Cueille d'ardents baisers. Sous son aile il dépose
La nymphe frémissante: ils ne forment qu'un corps. Loeda se renversa, la paupière mi-close, Ses lèvres s'entrouvrant... sourit dans cette pose... - Et la nuit tomba noire et voila leurs transports.
Avril 1859
15
AU BOIS DE NOISETIERS
Chanson
Au bois où sur les violettes La lune étend son linceul argenté Brune, viens cueillir des noisettes! Viens! - Mêlera le rossignol d'été Ses chants perlés à ta risée! Viens! - Mouillera ton bras blanc velouté Le lierre où tremble la rosée!
Ange, en odorantes bouffées Le vent du soir jouera par tes cheveux! Et sur tes nattes décoiffées Fera neiger l'aubépin odorant! Et, folle et boudeuse coquette, Sur votre lèvre on prendra - <si je peux!... -> Un baiser avec la noisette.
Février 1860
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