L'Ecclésiastique
L'Ecclésiastique
Stéphane MALLARMÉ
première parution : 4 décembre 1886
Les printemps poussent l’organisme à des actes qui, dans une autre saison, lui sont inconnus et maint traité d’histoire naturelle abonde en descriptions de ce phénomène, chez les animaux. Qu’il serait d’un intérêt plus plausible de recueillir certaines des altérations qu’apporte l’instant climatérique dans les allures d’individus faits pour la spiritualité ! Mal quitté par l’ironie de l’hiver, j’en retiens, quant à moi, un état équivoque tant que ne s’y substitue pas un naturalisme absolu ou naïf, capable de poursuivre une jouissance dans la différentiation de plusieurs brins d’herbes. Rien dans le cas actuel n’apportant de profit à la foule, j’échappe, pour le méditer, sous quelques ombrages environnant d’hier la ville : or c’est de leur mystère presque banal que j’exhiberai un exemple saisissable et frappant des inspirations printanières.
Vive fut tout à l’heure, dans un endroit peu fréquenté du bois de Boulogne, ma surprise quand, sombre agitation basse, je vis, par les mille interstices d’arbustes bons à ne rien cacher, total et des battements supérieurs du tricorne s’animant jusqu’à des souliers affermis par des boucles en argent, un ecclésiastique, qui à l’écart de témoins, répondait aux sollicitations du gazon. A moi ne plût (et rien de pareil ne sert les desseins providentiels) que, coupable à l’égal d’un faux scandalisé se saisissant d’un caillou du chemin, j’amenasse par mon sourire même d’intelligence, une rougeur sur le visage à deux mains voilé de ce pauvre homme, autre que celle sans doute trouvée dans son solitaire exercice ! Le pied vif, il me fallut, pour ne produire par ma présence de distraction, user d’adresse ; et fort contre la tentation d’un regard porté en arrière, me figurer en esprit l’apparition quasi diabolique qui continuait à froisser le renouveau de ses côtes, à droite, à gauche et du ventre, en obtenant une chaste frénésie. Tout, se frictionner ou jeter les membres, se rouler, glisser, aboutissait à une satisfaction et s’arrêter, interdit du chatouillement de quelque haute tige de fleur à de noirs mollets, parmi cette robe spéciale portée avec l’apparence qu’on est pour soi tout même sa femme. Solitude, froid silence épars dans la verdure, perçus par des sens moins subtils qu’inquiets, vous connûtes les claquements furibonds d’une étoffe ; comme si la nuit absconse en ses plis en sortait enfin secouée ! et les heurts sourds contre la terre du squelette rajeuni ; mais l’énergumène n’avait point à vous contempler. Hilare, c’était assez de chercher en soi la cause d’un plaisir ou d’un devoir, qu’expliquait mal un retour, devant une pelouse, aux gambades du séminaire. L’influence du souffle vernal doucement dilatant les immuables textes inscrits en sa chair, lui aussi, enhardi de ce trouble agréable à sa stérile pensée, était venu reconnaître par un contact avec la Nature, immédiat, net, violent, positif, dénué de toute curiosité intellectuelle, le bien-être général ; et candidement, loin des obédiences et de la contrainte de son occupation, des canons, des interdits, des censures, il se roulait, dans la béatitude de sa simplicité native, plus heureux qu’un âne. Que le but de sa promenade atteint se soit, droit et d’un jet, relevé non sans secouer les pistils et essuyer les sucs attachés à sa personne, le héros de ma vision, pour rentrer, inaperçu, dans la foule, et les habitudes de son ministère, je ne songe à rien nier ; mais j’ai le droit de ne point considérer cela. Ma discrétion vis-à-vis d’ébats d’abord apparus n’a-t-elle pas pour récompense d’en fixer à jamais comme une rêverie de passant se plut à la compléter, l’image marquée d’un sceau mystérieux de modernité, à la fois baroque et belle ?
<< Le nénuphar blanc | ▲ | La gloire >>