Prose
Prose
Stéphane MALLARMÉ
Hyperbole ! de ma mémoire Triomphalement ne sais-tu Te lever, aujourd’hui grimoire Dans un livre de fer vêtu :
Car j’installe, par la science, L’hymne des cœurs spirituels En l’œuvre de ma patience, Atlas, herbiers et rituels.
Nous promenions notre visage (Nous fûmes deux, je le maintiens) Sur maints charmes de paysage, Ô sœur, y comparant les tiens.
L’ère d’autorité se trouble Lorsque, sans nul motif, on dit De ce midi que notre double Inconscience approfondit
Que, sol des cent iris, son site, Ils savent s’il a bien été, Ne porte pas de nom que cite L’or de la trompette d’Été.
Oui, dans une île que l’air charge De vue et non de visions Toute fleur s’étalait plus large Sans que nous en devisions.
Telles, immenses, que chacune Ordinairement se para D’un lucide contour, lacune, Qui des jardins la sépara.
Gloire du long désir, Idées Tout en moi s’exaltait de voir La famille des iridées Surgir à ce nouveau devoir.
Mais cette sœur sensée et tendre Ne porta son regard plus loin Que sourire, et comme à l’entendre J’occupe mon antique soin.
Oh ! sache l’Esprit de litige, À cette heure où nous nous taisons, Que de lis multiples la tige Grandissait trop pour nos raisons
Et non comme pleure la rive, Quand son jeu monotone ment À vouloir que l’ampleur arrive Parmi mon jeune étonnement
D’ouïr tout le ciel et la carte Sans fin attestés sur mes pas, Par le flot même qui s’écarte, Que ce pays n’exista pas.
L’enfant abdique son extase Et docte déjà par chemins Elle dit le mot : Anastase ! Né pour d’éternels parchemins,
Avant qu’un sépulcre ne rie Sous aucun climat, son aïeul, De porter ce nom : Pulchérie ! Caché par le trop grand glaïeul.
Commentaires
- l'un des poèmes les plus diversement commenté de Mallarmé. «[...]récit d’une apparition surnaturelle du Beau poétique, entremêlée de justifications polémiques, et conduisant, de la part du Poète, au choix d'une conduite, ainsi qu'à une définition de sa condition et de sa tâche. » Paul Bénichou, Selon Mallarmé, éditions Gallimard, 1995.
- D'après Charles Chassé (Les clés de Mallarmé, Aubier, 1954), le titre de "Prose" pourrait provenir du sens indiqué par le Littré : Terme d'Église. Hymne latine rimée que l'on chante à la messe immédiatement avant l'Évangile dans les grandes solennités, ainsi dite parce qu'on y observe seulement le nombre des syllabes, sans avoir égard à la quantité prosodique. La prose des morts.
- Toujours d'après Chassé, le poème se déroule à Constantinople, appelée plus tard Byzance, d'après les noms Pulchérie et Anastase. Huysmans, dans son "A Rebours" fait allusion aux "finesses byzantines" de Mallarmé.
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