Rêveries
Rêveries
Stéphane MALLARMÉ
III. RÊVERIES
1 A celle qui dort.
Je murmurais sur sa tombe qui dort : " Hier c'était la fleur aux feuilles d'or " Qui souriait aux reflets de la lune " Ignorant encor le soleil! " Hier! c'était la tête brune : " Hier! le baiser de chacune : " Hier! l'oeil noir, le ris vermeil! " Quand de sa candeur le voile " L'enveloppa comme un linceul! " Aujourd'hui, c'est la larme à l'oeil! " C'est l'autel qui de noir se voile! " Oh! Maria! Maria! le cercueil " Est bien froid? - Pauvre Mariette!.. " Et sa voix répondit d'où nain la violette :
" Hier! c'était dans la nuit sans étoile " Le flot chantant un chant de mort! la voile " Que sillonnait l'éclair, et qu'à l'écueil " Poussait le vent qui bat l'écume! " Hier! c'était le noir cercueil! " Hier! les pleurs! hier, le deuil! " Mais un bel ange sous la plume " De son aile me fit un nid, " Et prit son essor vers un monde " Où l'encens sur la tête blonde
Vole en nuage: où l'on dit
" Père! " à Jéovah quand il gronde! " Mon frère! " à l'ange Gabriel!
Aujourd'hui, c'est le ciel! Demain... sera le ciel! "
Mars 1859 En revenant du cimetière de Passy.
2
LES CLOCHES DES MORTS
Là .... les entendez-vous, - comme une vierge folle Laisse onduler aux nuits ses noirs cheveux en flots Et jette sa chanson au corbeau qui s'envole, - Les entendez-vous bien, rejetant leurs manteaux
De siècles, ces deux surs murmurer leur prière?
" Sueur, de notre trône de pierre,
" Combien de générations, " Comment partent les alcyons, " Nous avons vues passer en bière! " Que de spectres, riants de fleurs, " De cercueils pleins de lys, de pleurs! " Depuis trois cents ans que de vierges " Dont nous avons sonné le glas! " Combien s'éteignirent de cierges! " Hélas!.. hé-las!.. hé-las!.. hé-las!... "
Messe de la Toussain[t] 1859
3
LE NUAGE
Nuage es-tu l'écume De l'oiseau céleste au flot limpide et pur? Es-tu la blanche plume Que détacha la brise, en traversant l'azur, De l'aile d'un des anges?
Es-tu, quand nos louanges, Volent avec l'encens aux pieds d'Adonaï Le parfum que balance Dans l'urne en feu, l'enfant devant la croix ravi? - Du ciel ou de la France
As-tu pris ton essor? As-tu vu bien des flots, mainte verte prairie? As-tu bercé ton ombre au marbre blanc où dort Du grand sommeil Marie, Où la brise aux cyprès murmure un chant de mort? " Oh! silence! silence! " alors dit le nuage " Je suis l'envoyé du Seigneur. " Je porte sur mon sein un blond enfant, de l'âge " Où l'on ne sait pas que l'on meurt. " Je le plis: Il dormait sur le sein de sa mère " L'aile d'un ange est son suaire! "
Mars 1859
4 A ma soeur
LARME
Oh! je voudrais pleurer! pleurer sous la feuillée Loin des rires humains, loin du chant des oiseaux! Pleurer .... sur qui? sur ceux dont la vie effeuillée, Comme une fleur au vent, vola vers les tombeaux?...
C'est moi dont le coeur froid se revêt d'un linceul! Moi .... qui rêve à l'azur, les deux pieds dans la fange. J'ai tout perdu, ma pauvre,... - Oh! je voudrais pleurer!
Messe des morts 1859
5
TOUT PASSE!...
Tout passe: le printemps tombe sous la faucille Du blond été. Tout passe: l'été voit se jaunir sa charmille Au vent hâté. Tout passe : sur l'automne, ô vieux hiver, tu jettes Ton blanc manteau. Tout passe : au gai printemps, la neige aux violettes Laisse un berceau. L'homme coule, poussé par l'homme qui le suit Comme la lame!
- Tu restes seule, étoile en l'éternelle nuit, Seule, ô mon âme!
Si tu dois être fleur, éclos loin de la fange Sur un beau sein! Si tu dois être flamme, oh! brille au front d'un ange, Cet oiseau saint!
Juillet 1859
6
A DIEU !
Seigneur, nous fis-tu pour t'aimer? As-tu placé dans nos ténèbres L'astre pour mieux nous en priver? Veux-tu changer en fleurs funèbres Le lilas qu'effeuille, la nuit, Un amant sous un pas qui fuit? De ton ciel ris-tu quand je pleure? Ou, se perdent-ils, nos accents, Sans qu'à tes pieds aucun ne meure, Comme ces vains flots de l'encens?
Juillet 1859
7 à E. R.
PAN
C'est un ami qui frappe: il faut que tu l'accueilles!
Un soir, au mois de Mai, - mois qui prélude aux cieux! - Se couronnait de fleurs, se revêtait de feuilles La nature, riant sous le pied radieux Du printemps qui semait l'amour avec les roses. Or, ce soir-là, j'entrai dans leur temple poudreux Pour voir leur Christ béni par leurs hymnes moroses. J'eus des pleurs dans les yeux: ils effeuillaient les fleurs! Les fleurs!... à peine ouvrant leurs feuilles à la vie, Leur sein aux papillons, au jeune amour leurs coeurs! Ils effeuillaient les fleurs sur l'haleine blanchie De l'encens qui dans l'air se perd avec les choeurs! Et devant un soleil d'argent, toutes ces têtes Se courbaient... Seul debout, j'étais là frémissant, Comme sur l'Océan, quand l'aile des tempêtes A refoulé les flots d'un souffle mugissant, Se dresse, inébranlable, un roc que bat l'écume. Je ne maudissais pas - je demandais pardon. " Oh! pardonne, ô grand Pan, à qui met l'amertume " En la coupe où nous rit, saint et précieux don, " L'onde qui de ton ciel reflète l'auréole! " Pardonne-leur, mon Dieu, peut-être qu'au matin " Une main sacrilège effeuilla leur corolle, " Et que l'épine seule est restée, où ta main " Avait semé la fleur! On détourna leur route..! "
Puis, le coeur débordé, je quittai le pilier Dont l'ombre séculaire abrita plus d'un doute!
La nature m'offrit son toit hospitalier. C'était le ciel immense étincelant d'étoiles! L'infini!.. l'infini, mot sublime et profond! - Ô mort, oh! laisse-moi percer un jour ses voiles, Sans pleurs je dormirai dans mon tombeau fécond! Errant d'un astre d'or à l'étoile d'albâtre, De la lueur pâlie à l'éclat radieux, Mon âme s'abattit sur votre ombre bleuâtre .... Et je me prosternai, l'oeil ébloui des cieux! Orgueil!.. Orgeuil!.. Orgueil!.. Qu'est Pan? - et qu'est la terre?
Une larme noyée au sein d'un flot géant! Une étincelle en l'ombre égarée, ô mystère! Une feuille qu'un vent jette au gouffre béant!
Et l'homme qu'est-il donc?... Je ne pus que me taire.
L'Homme a dit : " Dieu jeta sur nos têtes la nuit, " Ce grand manteau royal fleurdelisé d'étoiles! " Pour moi, Dieu suspendit cette lampe qui luit " A notre toit d'azur, le soleil pur de voiles! " Pour moi qui vis un jour il fit l'éternité!... " Je m'arrête, ô grand Dieu! Oh! retiens ton tonnerre! Car ils ont... ils on[t] dit, stupide vanité, Que ton ombre à l'aurore effleura notre terre! Ton ombre!... c'était peu, - qu'un rayon éternel De ta gloire tombé... ton fils... - ô sacrilège! Pour ouvrir leur paupière avait quitté le ciel! Et ton soleil, Seigneur, n'a pas fondu leur neige! Pan!.. ils l'ont souffleté .... puis ils l'ont fait mourir! Et chaque jour encor, levant un pain impie, Un prêtre dit: " Mangez! c'est votre Dieu martyr! " Et comme des corbeaux sur une aigle assoupie Leur nuage s'abat... met en lambeaux son flanc .... Réveillant ton courroux que n'étends-tu ton aile Pour balayer au loin tout ce flot insolent? Ô Pan! fais de ma voix la trompette fidèle Qui jette à l'univers au milieu des éclairs Un éclat de ta voix, un feu de ta lumière! Fais de moi ton archange!.. une aile dont les airs Gardent la trace en feu comme de ton tonnerre! J'irai, puis je dirai: " Déchirez le bandeau " Qu'a jeté sur vos yeux une foi qui chancelle! " Comme l'aigle expirant, jusqu'au jour du tombeau " Volez vers le soleil! Ravissez l'étincelle! " Qu'après sous le gazon chacun dorme serein " Dans sa gloire qu'encor n'a su vaincre un désastre! " Et vos enfants diront : Leur nom soit sur l'airain " Au front de notre siècle, ils ont placé leur astre! "
II
Oui, tout prie ici-bas, car tout aime et tout vit! La brise chaque soir recueille le murmure Du lac au flot d'azur, de l'arbre où dort le nid! Chaque aurore qui naît, pose une goutte pure Sur la lèvre odorante et sur l'or de la fleur! C'est ta prière, ô rose, et ton hymne, ô bruyère, Qu'au crépuscule hier le zéphyr recueillait, Que Dieu bénit, et qui, pour le jour qu'il éclaire T'apporte à toi ta pourpre, à toi ton doux reflet!
Lorsque la moisson d'or courbe sa tête blonde, Quand l'algue en s'inclinant ride le cours du flot, C'est que déborde un coeur que Pan d'amour inonde! Et la reconnaissance a chez chacun son mot!
Salut, divine essence en la flamme et dans l'onde Répandue, oh! salut! Le matin - quand la nuit D'un pied hâtif s'enfuit, jeter l'oeil sur la neige Que couronne un vieux mont où quelqu'aigle a son nid, Et voir l'orbe de feu qu'un frais repos allège S'élever radieux vers son dôme d'azur, Et dire avec les blés, et dire avec la vigne " Voilà Dieu qui s'avance... arrière, prêtre obscur! " Voir, comme à nous la femme, en nos torrents doux cygne, Le bluet rire au blé, le grand lierre à l'ormeau! Le chêne s'enivrant, ô blanches clématites, Du parfum virginal, vous soupirer ce mot " Je t'aime!.. " que tout dit, fleurs grandes aux petites, Rose aux astres, la nuit; vague aux roseaux, le jour! Voir le cyprès fidèle au papillon volage, Même sur les tombeaux, souffler tout bas: " Amour! " Voir, le soir, quand la nuit glisse dans le feuillage, Tout clore sa paupière et dormir, las d'aimer! Tout, sauf les rossignols, les grillons, mon amante Fée au corset si fin que la guêpe le chante! Voir, priant sur la mer, l'horizon s'enflammer, Et, comme un roi vainqueur dans la pourpre se couche, Sur le flot embrasé dormir l'astre géant! - Oh! bonheur qu'un coeur sent, que ne dit nulle bouche!
Non! N'allez pas prier sur un autel-néant, Hommes qui méditez, femmes qui de nos coupes Parfumez l'onde pure et fleurissez les bords! N'allez pas chaque soir, vous, angéliques troupes, Devant le pain et l'or verser vos lents accords! Laissez la harpe au temple, et ce livre où des voix Qu'exhalent d'autres coeurs ne sont jamais bénies! Laissez fumer l'encens devant l'idole-croix! Venez, où dès l'aurore épand ses harmonies L'oiseau pur, cette voix qu'aux arbres Dieu donna! " Voilà l'ostensoir d'or .... il se lève sublime!.. A genoux, à genoux, entonnez l'hosanna Qu'aux mers chante alcyon, l'aigle fauve à sa cime! Voilà le psaume saint!... à chacun accessible, Puisqu'un flot le murmure et qu'il parle d'amour!...
Gravis ce mont neigeux : jette ton oeil autour Vois le ciel! vois la terre! Homme c'est là ta bible!
Juillet 1855
8
PRIÈRE A LA NATURE
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QUE FAIRE ?
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