Richard Wagner


Richard Wagner

Stéphane MALLARMÉ

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Richard Wagner, par Auguste Renoir

Rêverie d’un poëte français.

Un poëte français contemporain, exclu de toute participation aux déploiements de beauté officiels, en raison de divers motifs, aime, ce qu’il garde de sa tâche pratiqué ou l’affinement mystérieux du vers pour de solitaires Fêtes, à réfléchir aux pompes souveraines de la Poésie, comme elles ne sauraient exister concurremment au flux de banalité charrié par les arts dans le faux semblant de civilisation. — Cérémonies d’un jour qui gît au sein, inconscient, de la foule : presque un Culte !

La certitude de n’être impliqué, lui ni personne de ce temps, dans aucune entreprise pareille, l’affranchit de toute restriction apportée à son rêve par le sentiment d’une impéritie et par l’écart des faits.

Sa vue d’une droiture introublée se jette au loin.

À son aise et c’est le moins, qu’il accepte pour exploit de considérer, seul, dans l’orgueilleux repli des conséquences, le Monstre-Qui-ne-peut-être ! Attachant au flanc la blessure d’un regard affirmatif et pur.

Omission faite de coups d’œil sur le faste extraordinaire mais inachevé aujourd’hui de la figuration plastique, d’où s’isole, du moins, en sa perfection de rendu, la Danse seule capable, par son écriture sommaire, de traduire le fugace et le soudain jusqu’à l’Idée — pareille vision comprend tout, absolument tout le Spectacle futur — cet amateur, s’il envisage l’apport de la Musique au Théâtre faite pour en mobiliser la merveille, ne songe pas longtemps à part soi.. déjà, de quels bonds que parte sa pensée, elle ressent la colossale approche d’une Initiation. Ton souhait, plutôt, vois s’il n’est pas rendu.

Singulier défi qu’aux poëtes dont il usurpe le devoir avec la plus candide et splendide bravoure, inflige Richard Wagner !

Le sentiment se complique envers cet étranger, transports, vénération, aussi d’un malaise que tout soit fait, autrement qu’en irradiant, par un jeu direct, du principe littéraire même.

Doutes et nécessité, pour un jugement, de discerner les circonstances que rencontra, au début, l’effort du Maître. Il surgit au temps d’un théâtre, le seul qu’on peut appeler caduc, tant la Fiction en est fabriquée d’un élément grossier : puisqu’elle s’impose à même et tout d’un coup, commandant de croire à l’existence du personnage et de l’aventure — de croire, simplement, rien de plus. Comme si cette foi exigée du spectateur ne devait pas être précisément la résultante par lui tirée du concours de tous les arts suscitant le miracle, autrement inerte et nul, de la scène ! Vous avez à subir un sortilège, pour l’accomplissement de quoi ce n’est trop d’aucun moyen d’enchantement impliqué par la magie musicale, afin de violenter votre raison aux prises avec un simulacre, et d’emblée on proclame : « Supposez que cela a eu lieu véritablement et que vous y êtes ! »

Le Moderne dédaigne d’imaginer ; mais expert à se servir des arts, il attend que chaque l’entraîne jusqu’où éclate une puissance spéciale d’illusion, puis consent.

Il le fallait bien, que le Théâtre d’avant la Musique partît d’un concept autoritaire et naïf, quand ne disposaient pas de cette ressource nouvelle d’évocation ses chefs-d’œuvre, hélas ! gisant aux feuillets pieux du livre, sans l’espoir, pour aucun, d’en jaillir à nos solennités. Son jeu reste inhérent au passé ou tel que le répudierait, à cause de cet intellectuel despotisme, une représentation populaire : la foule y voulant, selon la suggestion des arts, être maîtresse de sa créance. Une simple adjonction orchestrale change du tout au tout, annulant son principe même, l’ancien théâtre, et c’est comme strictement allégorique, que l’acte scénique maintenant, vide et abstrait en soi, impersonnel, a besoin, pour s’ébranler avec vraisemblance, de l’emploi du vivifiant effluve qu’épand la Musique.

Sa présence, rien de plus ! à la Musique, est un triomphe, pour peu qu’elle ne s’applique point, même comme leur élargissement sublime, à d’antiques conditions, mais éclate la génératrice de toute vitalité : un auditoire éprouvera cette impression que, si l’orchestre cessait de déverser son influence, le mime resterait, aussitôt, statue.

Pouvait-il, le Musicien et proche confident du secret de son Art, en simplifier l’attribution jusqu’à cette visée initiale ? Métamorphose pareille requiert le désintéressement du critique n’ayant pas derrière soi, prêt à se ruer d’impatience et de joie, l’abîme d’exécution musicale ici le plus tumultueux qu’homme ait contenu de son limpide vouloir.

Lui, fit ceci.

Allant au plus pressé, il concilia toute une tradition, intacte, dans la désuétude prochaine, avec ce que de vierge et d’occulte il devinait sourdre, en ses partitions. Hors une perspicacité ou suicide stérile, si vivace abonda l’étrange don d’assimilation en ce créateur quand même, que des deux éléments de beauté qui s’excluent et, tout au moins, l’un l’autre, s’ignorent, le drame personnel et la musique idéale, il effectua l’hymen. Oui, à l’aide d’un harmonieux compromis, suscitant une phase exacte de théâtre, laquelle répond, comme par surprise, à la disposition de sa race !

Quoique philosophiquement elle ne fasse là encore que se juxtaposer, la Musique (je somme qu’ on insinue d’où elle poind, son sens premier et sa fatalité) pénètre et enveloppe le Drame de par l’éblouissante volonté et s’y allie : pas d’ingénuité ou de profondeur qu’avec un éveil enthousiaste elle ne prodigue dans ce dessein, sauf que son principe même, à la Musique, échappe.

Le tact est prodige qui, sans totalement en transformer aucune, opère, sur la scène et dans la symphonie, la fusion de ces formes de plaisir disparates.

Maintenant, en effet, une musique qui n’a de cet art que l’observance des lois très complexes, seulement d’abord le flottant et l’infus, confond les couleurs et les lignes du personnage avec les timbres et les thèmes en une ambiance plus riche de Rêverie que tout air d’ici-bas, déité costumée aux invisibles plis d’un tissu d’accords ; ou va l’enlever de sa vague de Passion, au déchaînement trop vaste vers un seul, le précipiter, le tordre : et le soustraire à sa notion, perdue devant cet afflux surhumain, pour la lui faire ressaisir quand il domptera tout par le chant, jailli dans un déchirement de la pensée inspiratrice. Toujours le héros, qui foule une brume autant que notre sol, se montrera dans un lointain que comble la vapeur des plaintes, des gloires, et de la joie émises par l’instrumentation, reculé ainsi à des commencements. Il n’agit qu’entouré, à la Grecque, de la stupeur mêlée d’intimité qu’éprouve une assistance devant des mythes qui n’ont presque jamais été, tant leur instinctif passé se fond ! sans cesser cependant d’y bénéficier des familiers dehors de l’individu humain. Même certains satisfont à l’esprit par ce fait de ne sembler pas dépourvus de toute accointance avec de hasardeux symboles.

Voici à la rampe intronisée la Légende.

Avec une piété antérieure, un public, pour la seconde fois depuis les temps, hellénique d’abord, maintenant germain, considère le secret, représenté, d’origines. Quelque singulier bonheur, neuf et barbare, l’asseoit : devant le voile mouvant la subtilité de l’orchestration, à une magnificence qui décore sa genèse.

Tout se retrempe au ruisseau primitif : pas jusqu’à la source.

Si l’esprit français, strictement imaginatif et abstrait, donc poétique, jette un éclat, ce ne sera pas ainsi : il répugne, en cela d’accord avec l’Art dans son intégrité, qui est inventeur, à la Légende. Voyez-le, des jours abolis ne garder aucune anecdote énorme et fruste, comme une prescience de ce qu’elle apporterait d’anachronisme dans une représentation théâtrale, Sacre d’un des actes de la Civilisation ⚠ [^ Exposition, Transmission de Pouvoirs, etc : t’y vois-je, Brünnhild ou qu’y ferais-tu, Siegfried !^]. À moins que la Fable, vierge de tout, lieu, temps et personne sus, ne se dévoile empruntée au sens latent en le concours de tous, celle inscrite sur la page des Cieux et dont l’Histoire même n’est que l’interprétation, vaine, c’est-à-dire un Poème, l’Ode. Quoi ! le siècle ou notre pays, qui l’exalte, ont dissous par la pensée les Mythes, pour en refaire ! Le Théâtre les appelle, non ! pas de fixes, ni de séculaires et de notoires, mais un, dégagé de personnalité, car il compose notre aspect multiple : que, de prestiges correspondant au fonctionnement national, évoque l’Art, pour le mirer en nous. Type sans dénomination préalable, pour qu’émane la surprise : son geste résume vers soi nos rêves de sites ou de paradis, qu’engouffre l’antique scène avec une prétention vide à les contenir ou à les peindre. Lui, quelqu’un ! ni cette scène, quelque part (l’erreur connexe, décor stable et acteur réel, du Théâtre manquant de la Musique) : est-ce qu’un fait spirituel, l’épanouissement de symboles ou leur préparation, nécessite endroit, pour s’y développer, autre que le fictif foyer de vision dardé par le regard d’une foule ! Saint des Saints, mais mental.. alors y aboutissent, dans quelque éclair suprême, d’où s’éveille la Figure que Nul n’est, chaque attitude mimique prise par elle à un rythme inclus dans la symphonie, et le délivrant ! Alors viennent expirer comme aux pieds de l’incarnation, pas sans qu’un lien certain les apparente ainsi à son humanité, ces raréfactions et ces sommités naturelles que la Musique rend, arrière prolongement vibratoire de tout comme la Vie.

L’Homme, puis son authentique séjour terrestre, échangent une réciprocité de preuves.

Ainsi le Mystère.

La Cité, qui donna, pour l’expérience sacrée un théâtre, imprime à la terre le sceau universel.

Quant à son peuple, c’est bien le moins qu’il ait témoigné du fait auguste, j’atteste la Justice qui ne peut que régner là ! puisque cette orchestration, de qui, tout à l’heure, sortit l’évidence du dieu, ne synthétise jamais autre chose que les délicatesses et les magnificences, immortelles, innées, qui sont à l’insu de tous dans le concours d’une muette assistance.

Voilà pourquoi, Génie ! moi, l’humble qu’une logique éternelle asservit, ô Wagner, je souffre et me reproche, aux minutes marquées par la lassitude, de ne pas faire nombre avec ceux qui, ennuyés de tout afin de trouver le salut définitif, vont droit à l’édifice de ton Art, pour eux le terme du chemin. Il ouvre, cet incontestable portique, en des temps de jubilé qui ne le sont pour aucun peuple, une hospitalité contre l’insuffisance de soi et la médiocrité des patries ; il exalte des fervents jusqu’à la certitude : pour eux ce n’est pas l’étape la plus grande jamais ordonnée par un signe humain, qu’ils parcourent avec toi comme conducteur, mais le voyage fini de l’humanité vers un Idéal. Au moins, voulant ma part du délice, me permettras-tu de goûter, dans ton Temple, à mi-côte de la montagne sainte, dont le lever de vérités, le plus compréhensif encore, trompette la coupole et invite, à perte de vue du parvis, les gazons que le pas de tes élus foule, un repos : c’est comme l’isolement, pour l’esprit, de notre incohérence qui le pourchasse, autant qu’un abri contre la trop lucide hantise de cette cime menaçante d’absolu, devinée dans le départ des nuées là-haut, fulgurante, nue, seule : au delà et que personne ne semble devoir atteindre. Personne ! ce mot n’obsède pas d’un remords le passant en train de boire à ta conviviale fontaine.

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