Salut
Salut
Stéphane MALLARMÉ
première parution : 15 février 1893
Rien, cette écume, vierge vers À ne désigner que la coupe ; Telle loin se noie une troupe De sirènes mainte à l’envers.
Nous naviguons, ô mes divers Amis, moi déjà sur la poupe Vous l’avant fastueux qui coupe Le flot de foudres et d’hivers
Une ivresse belle m’engage Sans craindre même son tangage De porter debout ce salut
Solitude, récif, étoile À n’importe ce qui valut Le blanc souci de notre toile.
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Boating, par Mary Cassatt
Commentaires
- Prononcé par Stéphane Mallarmé à l'occasion du septième banquet de la revue La Plume le 9 février 1893.
- Le vers ne désigne ici que la coupe levée aux doigts du poète, la coupe sur le vide, sur la mer, écume vivante peut-être, - littéralement le panache mousseux, un instant fleuri entre des parois de cristal. Voyez : des images qui ne se suivent pas mais, comme les sirènes mêmes, entre un jaillissement et une disparition, plongent, s'appellent, se présentent de flanc, sous un rayon, en un chœur, comme une écharpe. De ce frêle verre de Murano, le jeu poétique fait jaillir, toutes voiles dehors, un Bucentaure de poètes. Ici, le Maître, ayant du regard dénombré ses amis, s'assure et sourit. Voyez dispersée, puis carguée en la toile coupante, la gerbe fine du dernier tercet ! Pas une phrase mais une constellation de quinze mots et, autour, la page blanche. Qu'un écrivain avide d'encre trace péniblement la figure à gros traits : trois points, trois clous de diamant, suffisent ici pour la déterminer, pour en poser, en un ciel platonicien, l'essence.
- Albert Thibaudet, La poésie de Stéphane Mallarmé : étude littéraire (5e édition), ,Gallimard ,1930.