V - SONNETS - RONDEAUX - TRIOLETS


V - SONNETS - RONDEAUX - TRIOLETS

Stéphane MALLARMÉ

V - SONNETS - RONDEAUX - TRIOLETS

1

TRIOLET IMPROVISÉ

Peltier et le blond Jalouzet Sont les deux astres de la classe. Jalouzet craint déjà loups et Tigres, quand on nomme sa place. Peltier plus encor jaloux est Quand l'" astre blondin " fond sa glace. Peltier le moine et Jalouzet Sont les deux astres de la classe.

Décembre 1859

à R.

SONNET

Quand sous votre corps nu craque un soyeux coussin, Fumer dans l'ambre et l'or un tabac qu'on arrose De parfums espagnols : vois voltiger l'essaim Des houris à l'oeil noir, dont l'enivrante pose

Vous fait rêver au ciel; renverser sur le sein De celle qui, rieuse, entre vos bras repose Un verre de Xérès, et dans le frais bassin Mouiller en folâtrant ses tresses d'eau de rose,

C'est l'Éden! - pense Hassan : et je lui fais écho! Mais le Ciel, c'est pour moi comme à mon vieux Shakspeare Un sonnet! - où l'esprit jouit d'être au martyre

Comme en son fin corset le sein de Camargo! - Quoi! J'ai tant bavardé! plus qu'un vers pour te dire Mon voeu : " Pour moi demande un à ta lyre.

Mars 1859

3

A M.

Sonnet

EN ENVOYANT UN POT DE FLEURS

Minuit au vieux beffroi: l'ombre dort, et la lune Se joue en l'aile noire et morne dont la nuit, Sombre corbeau, nous voile. Au ciel l'étoile fuit. - Mille voix du plaisir voltigent à moi : l'une

M'apporte ris, baisers, chants de délire : suit Une fanfare où Strauss fait tournoyer la brune Au pied leste, au sein nu, que sa jupe importune. - Tes masques! carnaval! tes grelots! joyeux bruit!

Et moi, je dors d'un oeil, et je vous dis, Marie, Qu'en son vase embaumé votre fleur est ravie D'éclore sous vos mains, et tressaille au bonheur

De vivre et se faner un soir sur votre coeur! - Ah! d'une aurore au soir dût s'envoler ma vie Comme un rêve, fleurette, oui, ton sort, je l'envie!

Dimanche de Carnaval 1859 Minuit et quart

4

A Germain

Sonnet

RÉPONSE

Ami, ton vers est gai comme un éclat de rire Plus lutin qu'Esmeralde et d'airain comme Hugo! Mais pourquoi tant d'encens à ma flûte en délire Qui chante aux soirs d'orgie un vin pourpre et Margot?

J'adore la catin et son baiser m'inspire! - Comme elle, en mes sonnets, je danse un fandango C'est un verre qu'on vide et qu'on brise en beau sire Après la soif, le soir, comme un vieil hidalgo!

Mais pour suivre le Maître et ravir l'étincelle Aux astres, c'est à toi d'étendre ta jeune aile, De parcourir son vol que sillonne l'éclair!

Moi, j'imite en ses jeux la verte demoiselle. Je vais de folle en folle, agitant ma crécelle Bohème est ma patrie! à toi le ciel et l'air!

Mars 1859

5

Sonnet

PÉNITENCE

Quand, tel qu'un bleu nuage au soir voile la lune, Le mensonge, linceul, sur mon âme planait, Si j'avais en priant sur quelque épaule brune Déposé le baiser que la croix réclamait,

Si, rêveur, je disais ma prière importune Sur un collier de Lise au lieu d'un chapelet, Pâle, j'allais - versant des larmes sur chacune Répandre mes erreurs aux pieds d'un prêtre laid.

Or maintenant, si j'ai, les lèvres d'horreur closes, Jusqu'à la lie, hélas! vidé le crime obscur;

Écrasé sous la mousse une ou deux fraises roses,

Troublé le rouge-gorge, ou, de mes doigts moroses, Défloré le velours sur une aile d'azur, - Maintenant je m'en vais me confesser aux roses.

Grand'Messe. Mars 1860

6

à ma Mère

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Rondeau

L'art ose, dans ces jours, sur les plu[me]s d'Icare S'élancer, aigle, où dort la foudre, voir des cieux! Mais nous, au coin du feu, gais, de notre cithare Pour ces pages tirons quelques accords joyeux! Poëte ou non, qui t'aime un soir ou deux s'enflamme Et qu'il grave, y semant quelques traits de son âme

Ses larmes, ses amours et ses rêves d'azur, Comme un gai papillon qui, vers le soir, se pose, Et laisse en s'endormant l'or de son aile sur La rose!

Ris, chants, soupirs d'hier ainsi vivront demain!

Le classique en frac noir, le romantique en larmes Oubliant tout aigreur s'y serreront la main. Si quelque muse y lutte on fera trêve aux armes; Ce sera sur la lyre et les cheveux en fleurs. Puis chacun s'en ira joyeux de l'oeuvre éclose Si ton souris l'éclaire, ou si ton oeil de pleurs L'arrose!

Mars 1859

7

SONNET

[manquant]

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