Le Palais hanté
Le Palais hanté
Edgar Allan POE
Traduction de Mallarmé Dans la plus verte de nos vallées par de bons anges occupée, jadis un beau palais majestueux, rayonnant palais ! dressait le front. - Dans les domaines du monarque Pensée - c’était là, son site : jamais Séraphin ne déploya de plumes sur une construction à moitié aussi belle. Les bannières, claires, glorieuses, d’or, sur son toit, se versaient et flottaient (ceci - tout ceci - dans un vieux temps d’autrefois) ; et, tout vent aimable qui badinait dans la douce journée le long des remparts empanachés et blanchissants : ailée, une odeur s’en venait. Les étrangers à cette heureuse vallée, à travers deux fenêtres lumineuses, regardaient des esprits musi- calement se mouvoir, aux lois d’un luth bien accordé, tout autour d’un trône : où siégeant (Porphyrogénète !) dans un apparat à sa gloire adapté, le maître du royaume se voyait. Et tout de perle et de rubis éclatante était la porte du beau palais, à travers laquelle venait par flots, par flots, par flots et étincelant toujours, une troupe d’Echos dont le doux devoir n’était que de chanter, avec des voix d’une beauté insurpassable, l’esprit et la sagesse de leur roi. Mais des êtres de malheur aux robes chagrines assaillirent la haute condition du monarque (ah ! notre deuil : car jamais lendemain ne fera luire d’aube sur ce désolé !) et, tout autour de sa maison, la gloire qui s’empourprait et fleurissait n’est qu’une histoire obscurément rappelée des vieux temps ensevelis. Et les voyageurs, maintenant, dans la vallée, voient par les rougeâtres fenêtres de vastes formes qui s’agitent, fantastiquement, sur une mélodie discordante, tandis qu’à travers la porte, pâle, une hideuse foule se rue à tout jamais, qui rit - mais ne sourit plus. |
Poème original The Haunted Palace In the greenest of our valleys
Banners yellow, glorious, golden,
Wanderers in that happy valley,
And all with pearl and ruby glowing
But evil things, in robes of sorrow,
And travellers, now, within that valley,
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SCOLIE Stéphane MALLARMÉ
Tous les lecteurs du conte le plus sublime peut-être qu'ait écrit Poe, la Chute de la maison Usher, tel qu'il faut des siècles de rêverie pour en amasser les éléments de beauté dans un esprit solitaire, se rappellent, accordé avec la voix de l'héritier de la triste résidence, le chant emblématique, par le poète momentanément prêté à son récit en prose. " … Mais quant à la brûlante facilité de ses improvisations, on ne pouvait s'en rendre compte de la même manière. Il fallait évidemment qu'elles fussent et elles étaient, en effet, dans les notes aussi bien que dans les paroles de ses étranges fantaisies, - car il accompagnait souvent sa musique de paroles improvisées et rimées, le résultat de cet intense recueillement et de cette concentration des forces mentales, qui ne se manifestent, comme je l'ai déjà dit, que dans les cas particuliers de la plus haute excitation artificielle. D'une de ces rhapsodies je me suis rappelé facilement les paroles. Peut-être m'impressionna-t-elle plus fortement, quand il me le montra, parce que dans le sens intérieur et mystérieux de l'oeuvre je crus découvrir pour la première fois qu'Usher avait pleinement conscience de son état, - qu'il sentait que sa sublime raison chancelait sur son trône. Ces vers qui avaient pour titre le Palais hanté étaient, à très peu de chose près, tels que je les cite. (Ils suivent.) " Je me rappelle fort bien que les inspirations naissant de cette ballade nous jetèrent dans un courant d'idées, au milieu duquel se manifesta une opinion d'Usher que je cite, non pas tant en raison de sa nouveauté - ". Continuer la page 97 du premier volume de la traduction de Baudelaire. C'est au sujet de ces vers, selon le calomniateur Griswold inspirés par la Cité pestiférée de Longfellow, que Poe lança, bien au contraire, à l'adresse du poëte populaire une de ses fréquentes accusations de plagiat ". Le chant de Poe parut longtemps avant celui de Longfellow ; il est postérieur à la Maison abandonnée de Tennyson. " Mais (dit, pour tant trancher, et parlant de notre poète, Mrs. Whitman) son esprit était bien un palais hanté, résonnant de l'écho des pas des anges et des démons. " |
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