Stances à Hélène


Stances à Hélène

Edgar Allan POE

Traduction de Mallarmé

Hélène, ta beauté est pour moi comme ces barques nicéennes d’autrefois qui, sur une mer parfumée, portaient doucement le défait et le las voyageur à son rivage natal.

Par des mers désespérées longtemps coutumier d’errer, ta chevelure hyacinthe, ton classique visage, tes airs de Naïade m’ont ramené ainsi que chez moi à la gloire qui fut la Grèce, à la grandeur qui fut Rome.

Là ! dans cette niche splendide d’une croisée, c’est bien comme une statue que je te vois apparaître, la lampe d’agate en la main, ah ! Psyché ! de ces régions issue qui sont terre sainte.

Poème original

HELEN, thy beauty is to me
Like those Nicéan barks of yore,
That gently, o’er a perfumed sea,
The weary, way-worn wanderer bore
To his own native shore.

On desperate seas long wont to roam,
Thy hyacinth hair, thy classic face,
Thy Naiad airs have brought me home
To the glory that was Greece,
And the grandeur that was Rome.

Lo ! in yon brilliant window-niche
How statue-like I see thee stand,
The agate lamp within thy hand !
Ah, Psyche, from the regions which
Are Holy-Land !

SCOLIE

Stéphane MALLARMÉ

" Ces stances ont en elle une grâce et une symétrie de dessin que peu de poëtes atteignent dans leur vie, et sont aptes à montrer ce qu'on ne peut exprimer que par ces mots contradictoires d'expérience innée : ainsi les juge le célèbre poète Russel Lowell. Et encore : " Il y a tout autour comme une saveur d'ambroisie. " Et " nous nommons ces vers le plus remarquable des poèmes d'adolescence, que nous ayons lu. Nous n'en savons aucun qu on puisse lui comparer pour la maturité d'idées et l'intelligence exquise de la langue et du maître. "

Assez d'éloges, certes, pour qu'il m'ait été permis de faire des poèmes antérieurs passer dans le choix classique ce joyau. Vers de la première jeunesse du poëte, et (nous apprend l'autre Hélène magnifiquement célébrée dans un grand morceau plus loin) dédiés à une dame dont Poe continue de parler dans une lettre écrite un an avant de mourir, comme " du seul et idolâtre amour, purement idéal, de sa jeunesse passionnée ". L'histoire est touchante et illustre la nature enfantine de Poe. " Aux jours de l'université de Richmond, qui le posséda très jeune, il accompagnait à la maison un de ses camarades, quand il vit pour la premièle fois Mrs. H... S... la mère du jeune ami. Cette dame, dès son entrée dans la chambre, lui prit la main et proféra quelques mots d'accueil charmants et gracieux qui pénétrèrent le coeur sensitif de l'orphelin, au point de lui enlever jusqu'au pouvoir de parler et, pendant un instant, presque toute conscience. Il revint chez lui dans un rêve, avec une pensée unique, un seul espoir en sa vie - d'entendre de nouveau les douces et gracieuses paroles qui avaient rendu si beau pour lui le monde désolé, et a accablé son coeur solitaire de l'oppression d'une joie nouvelle. Cette dame dans la suite devint la confidente de tous ses chagrins d'écolier, et elle fut la seule influence rédemptrice qui le préserva et le guida, dans les premiers jours turbulents et passionnés de sa jeunesse. Par de rares et étranges chagrins visitée, elle mourut, et des mois après cette fin, ce fut l'habitude de l'adolescent de visiter de nuit le cimetière où gisait enseveli l'objet de sa jeune idolâtrie. La pensée de la morte solitaire remplit son coeur d'un chagrin profond et incommunicable. Quand les nuits étaient lugubres et froides, que les pluies d'automne tombaient et que pleurait sur les tombes le deuil du vent, il errait alors plus longtemps encore et ne partait que plus profondément en proie à ses regrets ".

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